Chaque mois, le CMAF donne la parole à un « citoyen bleu » qui s’exprime sur un sujet faisant l’actualité de l’économie bleue en Afrique francophone. Le CMAF est allé à la rencontre de Eddy Christ NTSAÏE MAYILA, officier au port à bois d’Owendo au Gabon, afin qu’il nous en apprenne sur son parcours et dans le but de mieux connaitre l’environnement portuaire de son pays.
CMAF : D’où venez-vous ?
Eddy-Christ NTSAÏE MAYILA : Je suis originaire du Haut-Ogooué, une province située au sud-ouest du Gabon.
Quel est votre parcours scolaire et universitaire ?
J’ai connu un parcours scolaire assez particulier. N’ayant pas fréquenté les classes de maternelle, c’est seulement en classe de CE1 que j’ai commencé à lire. J’ai donc dû faire preuve de discipline et rigueur pour rattrapera ce handicap.
A l’issue du cycle secondaire, j’ai connu mon premier échec en échouant au BEPC (Brevet d’études du premier cycle). Mais l’année suivante, je l’ai obtenu et j’ai pu poursuivre mon parcours. Ma famille a décidé de m’envoyer au Sénégal pour suivre la classe de Terminal. A cet instant, j’ai réalisé le poids de la réussite, les dépenses consenties par ma famille et l’espoir placé en moi, qui m’ont poussé à obtenir le Bac série sciences économiques.
D’un commun accord avec ma famille, j’ai décidé de rester à Dakar. J’étais un peu perdu parce que je ne savais pas quelle orientation donner à mon parcours post-Bac : j’hésitais entre le marketing, la comptabilité ou la finance. Jusqu’à ce que je réalise que la logistique et le transport pourraient me correspondre. Ce qui m’a motivé, ce sont les débouchés nombreux des 4 principaux modes de transport (la route, le ferroviaire, l’aérien et le maritime) dans l’industrie, l’entrepôt, les chaînes de froid, la livraison, les achats, autant de débouchés qui ont déterminé ce choix dans les métiers de la logistique.
Et j’ai passé 4 ans à étudier la logistique, le droit portuaire, les différents modes de transport, la chaine logistique de l’entrepôt à la livraison et le commerce international, au sein d’une bonne école de commerce : l’Institut Supérieur des Transports (IST) de Sup de Co’ Dakar. Je me suis impliqué dans la création d’une association (je ne sais pas si elle existe toujours !), l’ASETL (Association des Etudiants en Transport et Logistique) où j’ai occupé le poste de chargé de la communication. Puis j’ai été élu président des étudiants Gabonais de l’Institut Supérieur des Transports et en même temps vice-président du Groupe Mbandja, l’association des étudiants Gabonais du Group Sup de Co Dakar.
En 2006, j’ai reçu un prix d’excellence décerné par un collectif des écoles privés du Sénégal récompensant les meilleurs étudiants. Cette même année, j’ai obtenu mon DTS (Diplôme de Technicien Supérieur) et BTS (Brevet de Technicien Supérieur) en transport et logistique. Enfin, j’ai décroché en 2009 ma MAÎTRISE en transport et logistique.
Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai d’abord travaillé pour un particulier qui voulait mettre en place une société de transport dans une ville du Gabon dont il était originaire. Je devais identifier les lignes et le nombre de bus. Cette expérience m’a permis de comprendre quelque chose d’essentiel en matière de mobilité urbaine en Afrique : le déplacement est conditionné par le pouvoir d’achat. La mobilité n’est accessible qu’à ceux qui possèdent suffisamment d’argent.
Ensuite j’ai intégré le service import-export d’une compagnie spécialisée dans le transport de fret par voie aérienne. Par la suite, je suis devenu agent de fret aérien au sein du service d’opération aérienne. Suite à ma démission, j’ai été embauché dans une société de distribution et de livraison où j’étais attaché logistique. Après quelques mois, j’ai connu une promotion et je suis devenu chef de service logistique. J’assurais le fonctionnement et la gestion du matériel roulant, le suivi de la consommation de carburant mais aussi le déchargement des navires.
Par la suite, j’ai été embauché par l’autorité portuaire nationale où j’ai occupé la fonction de commandant de port et aujourd’hui je suis Officier de Port.
Après avoir travaillé initialement dans l’import-export dans le domaine aérien, comment s’est faite la transition vers le poste que vous occupez actuellement ?
La logistique est un milieu passionnant et en perpétuel mouvement. Il faut avoir des qualifications qui sont renouvelables presque tous les deux ans et qui vous permettent de mettre à jour vos connaissances. Par exemple, une société internationale comme Cargolux mettent en place leurs propres protocoles et procédures. Pour pouvoir travaillez au sein de Cargolux, tous les agents en contact avec leurs aéronefs doivent suivre une formation sur le traitement de leurs avions. Cette formation est validée par Cargolux en partenariat avec l’autorité nationale de régulation qui veille à ce que les agents soient formés. Par conséquent, un agent peut empiler les certificats et les attestations de stage et de formation. Or durant 6 ans, c’est justement ce que j’ai fait.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler pour l’OPRAG (Office des Ports et des Rades du Gabon, qui est l’autorité portuaire nationale) ?
C’est d’abord un prestige car cela vous donne le sentiment d’aider les concitoyens mais aussi de redorer l’image portuaire du pays. Le domaine maritime comme l’aérien est impressionnant et assez imposant de par le nombre de marchandises manipulées et par l’importance de sa position stratégique dans un pays. L’autorité portuaire met tout cela en musique pour permettre des échanges entre opérateurs tout en assurant la sécurité la sûreté des différentes opérations.
Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre métier ?
Le contact avec les opérateurs et la sensibilisation. Nous avons un rôle d’éducateurs, en ce sens que nous devons rappeler aux opérateurs ou aux usagers du port les différentes lois et règlements qui régulent le secteur. Nous devons donc être pédagogues.
Quel regard portez-vous sur l’évolution des ports au Gabon ? Quelle place occupe selon vous les ports d’Owendo et de Port-Gentil face à la concurrence des ports de Kribi, Douala ou Pointe-Noire ?
Je suis plutôt optimiste parce que les défis sont nombreux. Ces dernières années, les activités portuaires se sont diversifiées mais en plus nos ports se sont spécialisés. Cela favorise la gestion et la manipulation de certains frets comme le minerai ou le bois. Face à nos voisins qui, ne l’oublions pas, ont des surfaces et des profondeurs plus conséquentes, la place des Ports du Gabon n’est pas à négliger.
Ce qui peut aujourd’hui faire la différence est le facteur du temps de traitement : dans les services offerts aux navires et à la marchandise, mais aussi dans les procédures administratives. Selon moi, les chargeurs préféreront utiliser les installations gabonaises même si le tarif est plus élevé, à condition que le traitement de leurs expéditions ou navires est réalisé dans les temps.
Face aux défis que pose la pandémie de COVID-19, pensez-vous que la digitalisation plus importante des services portuaires est la solution pour garantir la continuité des opérations logistiques ?
La continuité des opérations portuaires est nécessaire pour nos pays : on ne peut imaginer un port fermé à cause d’une pandémie. Il faut donc optimiser et mettre en place certains mécanismes qui puissent garantir cette continuité. La digitalisation de ces services et la mise en place des plates-formes permettant aux opérateurs de continuer et mener à bien leurs opérations en toute sécurité revêt alors une grande nécessité.
On ne peut se permettre d’être toujours à la traîne alors que nous avons le potentiel de mettre en musique des réformes qui vont dans le sens d’une dynamisation de nos économies. On ne peut plus perdre de temps sur certains aspects qui ralentissent nos activités parce que nos services sont toujours précaires. L’existence des logiciels permettant une gestion adéquate en optimisant nos ressources seraient nécessaires.
Plus généralement, quels sont les axes de développement pour les ports africains ?
La question environnementale et de la pollution de nos ports sera sans doute l’élément majeur auquel nos Etat devront faire face dans les années à venir. Il faudra à tous prix mettre sur pied des mesures pour essayer de réduire cette pollution. En effet, il faut noter que la pollution maritime est plus dangereuse que le carburant des véhicules et
qu’aujourd’hui, il faut que nos ports se modernisent pour devenir des « ports verts ». Ce concept de port vert est en train d’être appliqué dans certains ports des pays développés et va conduire nos pays à devoir s’arrimer aux nouvelles normes en matière de protection de l’environnement. Le Président de la République du Gabon en a fait une priorité dans sa politique dit du « Gabon Vert ».
Ceci étant un système dénommé PERS (système d’examen environnemental portuaire), permet aux ports du monde entier de commencer à travailler dans ce sens pour améliorer la situation des problèmes environnementaux auxquels ils font fasse. Ce système s’appuie sur certains points clés qui passent par la sensibilisation et la diffusion de l’information entre les ports africains. Il s’agira d’influencer la politique environnementale dans les ports africains en créant un pont entre les principes et les pratiques environnementales. Selon moi, il faudra également promouvoir la coopération environnementale par l’échange de bonnes pratiques, la formation et la recherche, mais aussi soutenir les ressources techniques, juridiques et en capital, pour une gestion et une performance environnementale saine. Enfin, il faudra promouvoir l’établissement de pratiques environnementales normalisées grâce à des approches coopératives et collaboratives.
On peut donc mettre l’accent sur les points suivants pour favoriser une meilleure interaction entre les ports africains : échange de connaissances, d’expériences et de bonnes pratiques ; connectivité de l’arrière-pays et développement de corridors économiques ; développement des installations de soutien au port ; mise en réseau des projets de recherche et de développement ; mise en place de programmes d’enseignement et de formation communs avec la participation des institutions européennes, américaines et asiatiques.