Le Cluster Maritime d’Afrique Francophone (CMAF) a organisé le 1er juillet 2020 un webinaire intitulé : « Transport fluvial : la solution aux nouveaux enjeux de la logistique en Afrique de l’Ouest et du Centre ». Trois experts d’aires fluviomaritimes distinctes (bassins des fleuves Sénégal, Ogooué et Congo) ont pu apporter leurs éléments d’analyse des enjeux de la thématique retenue.
Il s’agissait tout d’abord de Monsieur Oswald Séverin MAYOUNOU, Ministre délégué auprès du ministre des Eaux et Forêts, de la Mer, de l’Environnement de la République du Gabon, chargé du Plan Climat, des Objectifs de développement durables et du Plan d’affectation des terres. Puis du Docteur Alioune Abi Taleb NGUER, ancien Directeur de l’Ecole nationale de Formation maritime (ENFM) et de l’Institut supérieur des Transports (IST) de Dakar, spécialiste de l’économie des pêches et du transport maritime. Et enfin Monsieur Laurent FOLOPPE, Directeur Commercial et Marketing d’HAROPA, structure qui regroupe les ports du Havre, Rouen et Paris.
L’objectif de ce webinaire était pour le CMAF :
Le modérateur de cette web-conférence fut Son Excellence Sayid ABELOKO, Ambassadeur du Gabon au Togo, Bénin et Ghana et membre du bureau exécutif du CMAF. Dans son propos préliminaire, il a insisté sur l’importance des fleuves en Afrique, qui ont longtemps constitué une voie de communication privilégiée avant le développement des réseaux routiers et ferroviaires sur le continent. Aujourd’hui, ils sont toujours une voie de pénétration vers des espaces économiques distants et un facteur de connexion entre les bassins fluviaux où se concentrent les populations ainsi que de nombreuses activités (agriculture irriguée, élevage, pêche, tourisme, etc.). Le modérateur a ensuite fait une présentation hydrographique de l’Afrique de l’Ouest et du Centre en cartographiant les grands fleuves qu’on y trouve.
L’Ambassadeur du Gabon a fait remarquer qu’au début de la pandémie, les autorités dans nos pays africains ont réagi très vite et ont pris des mesures d’endiguement de la pandémie diverses suivant les pays, comme le confinement ou des limitations de la circulation. Les autorités ont sollicité les industriels et l’ensemble des opérateurs privés pour s’adapter aux dispositions qu’elles mettaient en place de manière à leur permettre de poursuivre les activités surtout dans les ports.
Aussi, selon Son Excellence Sayid ABELOKO : « la crise a accentué les défis auxquels nous devons faire face en Afrique comme le phénomène de congestion. Nous avons remarqué que certains ports qui connaissaient déjà ce phénomène se sont retrouvés pendant la crise avec une décongestion allant jusqu’à 40 jours. Il est donc important (mais cela dépasse le rôle d’un opérateur privé, il concerne plutôt les Etats) de mettre en place des solutions de transport qui me semblent inévitables pour le développement de nos économies africaines, la relance de l’activité puis pour le besoin de intégration régionale. La crise a fait clairement apparaître le besoin et la nécessité de localiser les unités de production et des centres de distribution en zone rurale et pour localiser ses centres de distribution ou encore mieux ses unités de production. Il faudra penser à mettre en place des systèmes de transport multimodal ».
Enfin, l’Ambassadeur du Gabon a posé aux experts deux questions essentielles à savoir:
Son Excellence Marc VIZY, Ambassadeur de France au Togo et également membre du bureau exécutif du CMAF, a brièvement présenté le CMAF et ses objectifs, en insistant sur l’intérêt qu’ont les acteurs du monde maritime de se regrouper au sein d’un cluster pour peser auprès des décideurs, des pouvoirs publics et des organismes régionaux et profiter d’un réseau leur permettant de mettre mettant en valeurs leurs activités.
Au cours de la première intervention des experts, Monsieur Oswald Séverin MAYOUNOU, Ministre délégué auprès du ministre des Eaux et Forêts, de la République du Gabon, s’est employé à présenter le rôle des pouvoirs publics et des acteurs privés dans les projets de développement des voies navigables au Gabon. Plusieurs cours d’eau importants traversent le territoire gabonais, comme l’Ogooué, le Komo ou le Nyanga. L’Ogooué constitue le seul mode d’accès direct vers l’intérieur du pays de Port-Gentil jusqu’à Lambaréné en période basses eaux, et traverse le Gabon d’Est en Ouest. Les activités qui s’y déroulent sont multiples : transport de personnes ou par flottaison des billes de bois, activités d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures, pêche, tourisme, etc. Mais le premier panéliste a précisé que chaque coupure ou impraticabilité même momentanée du fleuve peut signifier une perte d’exploitation pour les entreprises ayant choisi le transport fluvial.
Monsieur le Ministre MAYOUNOU a rappelé que « le développement du transport fluvial était dévolu à l’Etat souverain ». Selon lui, c’est aux pouvoirs publics de prendre la tête de la stratégie de développement de ce moyen de transport alternatif et de faire des fleuves les « autoroutes du futur ». La première priorité est alors d’ « investir pour rendre ces fleuves navigables et praticables en toutes saisons dans le respect des normes environnementales ». Le dragage des fleuves, les levées bathymétriques ou la création de ports d’escale sont également envisagés.
Il a enfin estimé que les acteurs privés ont un rôle à jouer dans l’amélioration des moyens de transport des passagers et des produits agricoles par le fleuve. Selon Monsieur le Ministre MAYOUNOU, l’enjeu du développement de ce mode de transport alternatif constitue un enjeu important pour les populations locales : « l’écotourisme ne pourra être développé que si les réseaux logistiques sont disponibles. Dans le cas du Gabon, il existe des zones où le chemin de fer et la route n’arrivent pas facilement ; le développement du transport fluvial pourra être une panacée pour valoriser notre patrimoine national ».
Le Docteur Alioune Abi Taleb NGUER a ensuite pris la parole pour apporter son analyse des projets d’aménagement du réseau de transport sur le fleuve Sénégal. Il a d’abord présenté un historique de ce long fleuve (1800 kilomètres) s’écoulant en Guinée, au Mali, en Mauritanie et au Sénégal. Le fleuve Sénégal a servi à la fois d’espace tampon pour les échanges Nord-Sud lors de la période du commerce transsaharien de l’or et des esclaves, de lieu d’approvisionnement dès l’apparition du commerce triangulaire, de point d’axe de pénétration de la mer vers l’intérieur du pays de la période coloniale aux années 1970. La construction de lignes de chemin de fer a conduit à la réduction du transport fluvial commercial. Dans les années 1980-1990, le contrôle du fleuve Sénégal est une source de tensions : son rôle de frontière naturelle fut particulièrement exacerbé durant le conflit sénégalo-mauritanien de 1989.
Le régime hydrologique du fleuve est très irrégulier : il est navigable jusqu’à Kayes (Mali) sur 975 kilomètres en période de hautes eaux environ trois mois par an. L’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) a été mise en place en 1972 par les États riverains du fleuve Sénégal (Mali, Mauritanie et Sénégal) dans le but d’exploiter rationnellement les ressources (énergie, navigation, agriculture irriguée, etc.) du bassin versant du fleuve.
Le Docteur NGUER a ensuite fait un point sur les projets d’aménagement du réseau fluvial sur le fleuve Sénégal. Des études ont été réalisées par le passé sur la rentabilité et l’impact environnemental de projets de mobilité de biens et de personnes sur le fleuve, mais aussi d’autres projets d’exploitation dans les domaines de l’hydroélectricité ou de l’agriculture. Ces études visant le développement du transport fluvial s’accompagnent d’autres projets, comme la création de voies navigables entre Saint-Louis au Sénégal et Kayes au Mali, la construction de quais minéraliers, l’agrandissement d’un chenal de 75 mètres de large et 2,5 mètres de profondeur, la construction de routes d’accès aux ports fluviaux et de barrages hydroélectriques, ou encore l’acquisition d’une flotte destinée au suivi de la navigation.
Le troisième panéliste, Monsieur Laurent FOLOPPE, a démontré le poids du transport fluvial dans la stratégie de développement des trois ports du Havre, Rouen et Paris ainsi que l’intérêt du report modal vers le réseau fluvial, notamment face aux problématiques de congestion des ports et de décarbonation de la chaîne logistique. Il a rappelé la complémentarité des trois ports du bassin de la Seine. Le Havre est le 1er port à conteneurs pour le commerce extérieur de la France et vise principalement le marché asiatique, Rouen est le 1er port français dans le secteur breakbulk et commerce surtout avec le marché africain, tandis que Paris dispose de 900 hectares d’espace portuaire et un million de mètres carrés d’entrepôts. La Seine capte 1 conteneur sur 5 à destination de Paris (23,7 millions tonnes ont été transportées sur le fleuve en 2019).
Monsieur FOLOPPE a indiqué que le recours au réseau fluvial constitue un axe majeur du projet stratégique d’HAROPA à horizon 2025, dans la mesure où il doit permettre une massification des flux transitant par les trois ports tout en réduisant leur congestion : « une fois qu’on a fait venir les flux maritimes, il faut pouvoir les transporter vers notre hinterland. Et donc le corridor fluvial du bassin de la Seine est un enjeu stratégique […] Le report modal vers le fleuve constitue une priorité qui implique de mettre en place de nouveaux services et une stratégie en matière de responsabilité sociétale et environnementale. Cela implique d’offrir à nos clients des supply chains beaucoup plus vertes et une logistique de plus en plus décarbonnée ». Selon lui, les ports, pour être compétitifs, doivent intégrer dans leur modèle de fonctionnement la demande de certains grands groupes d’avoir moins recours aux camions et leur volonté de réduire leur impact en matière d’émissions de Co².
Enfin, il a estimé que la pandémie actuelle du Covid-19 a tendance à accélérer la dynamique en faveur du développement du transport fluvial, dans la mesure où elle conduit les acteurs à repenser les modèles d’approvisionnement et de transport de marchandises. Selon Monsieur FOLOPPE, cette crise peut représenter une opportunité de repenser les schémas en matière de logistique verte.
A l’issue des interventions des trois experts, le modérateur a recueilli les questions que les participants du webinaire avaient adressées aux panélistes via le chat. Ces questions ont servi de base de discussion au débat qui a conclu la webconférence.
L’une des participants s’est questionnée sur la manière de concilier le développement des réseaux fluviaux en Afrique centrale et le respect des engagements des Etats en matière de protection de l’environnement. Monsieur le Ministre MAYOUNOU a mis en valeur l’engagement de la République du Gabon dans ce domaine, en rappelant que le pays dispose d’un code environnemental et qu’il s’est « engagé auprès de différents organismes internationaux dans la lutte contre le réchauffement climatique ». Il a émis le souhait que des études d’impact environnemental soient le préalable aux travaux de développement des infrastructures fluviales ; ces études peuvent notamment déterminer les zones fluviales que le tracé du réseau fluvial doit éviter, comme cela a été possible lors de la création de parcs marins au Gabon. Il a aussi estimé que la priorité en matière de transport fluvial doit être de rendre les cours d’eau navigables, alors qu’ils sont aujourd’hui « parsemés d’embuches naturelles » et qu’ils souffrent d’un déficit de maintenance.
Le cas du trafic de conteneurs sur les fleuves africains a aussi posé question. A ce sujet, le Docteur NGUER considère que sur le fleuve Sénégal, un chenal, d’une largeur de 75 mètres et d’une profondeur de 2,5 mètres de tirant d’eau, doit être construit avant qu’on ne puisse voir des porte-conteneurs remonter le fleuve. « Il faut d’abord réussir ce pari », mais aussi construire des ports fluviaux et des escales, les connecter aux routes et aux chemins de fer, en bref : promouvoir l’intermodalité.
Les participants ont aussi cherché à savoir si le modèle logistique choisi par HAROPA tel que décrit par Monsieur FOLOPPE pouvait être transposable à l’Afrique de l’Ouest et du Centre. Ce dernier a mis en avant la possibilité pour les ports français et africains de partager des informations sur la gestion des infrastructures afin de « réfléchir ensemble à une stratégie de report modal sur la voie fluviale ». Toutefois, il a estimé que le choix de ce modèle dépend de très nombreux facteurs et implique la construction d’écluses, de ponts, d’accès aux berges, ainsi que des équipements permettant de transporter de grands volumes.
Le Président du CMAF Charles Kokouvi GAFAN a enfin clôturé le webinaire. Il a adressé ses remerciements aux panélistes qui, de par la confiance qu’ils ont accordée au Cluster dans l’organisation de cette première webconférence et la qualité de leurs interventions, contribuent à faire grandir la cause du CMAF. Il a estimé que le CMAF comme les participants allaient tirer de nombreux enseignements de ce webinaire de haut niveau, qui seront profitables à l’ensemble de la communauté maritime et portuaire d’Afrique francophone. Enfin, il a remercié les participants à ce webinaire, qui ont été nombreux (plus de 100) à écouter les panélistes et leur poser des questions. Le Président GAFAN leur a donné rendez-vous pour les prochains événements du CMAF, qui espère se servir de l’exemple de ce webinaire réussit pour en organiser d’autres, sur de nouvelles thématiques qui concernent et intéressent les membres du réseau CMAF.